LE NATURISME, UNE EVOLUTION CONSTANTE Partie 2 – Le temps des grandes concrétisations par B.Saurez

Dans le premier volet de cet historique non exhaustif, nous avons laissé nos amis dans un éclectisme doctrinal que nous sommes nombreux à ignorer aujourd’hui. La seconde guerre mondiale passée, l’espoir d’une société supérieure, intégrant dans son évolution les valeurs du naturisme, s’avère peu à peu utopique.

Après les horreurs de la guerre, les jeunes aspirent à plus de liberté, ils veulent profiter du moment présent sans se soucier de l’avenir.

Les pionniers du naturisme sont alors tiraillés entre deux tendances : continuer avec les mêmes fondamentaux qu’avant la guerre, (ce sera le choix de Kienné de Mongeot) ou adapter leur discours pour toucher un plus large public, (ce sera la politique que mènera le couple Lecocq).

Il ne s’agit pas ici de dire qui a adopté la bonne méthode mais d’analyser au mieux les faits.

En définitive, nous verrons qu’il n’y a pas réellement de bonne méthode, mais seulement des lignes de pensée différentes qui, quand elles ne s’opposent pas frontalement et ne se critiquent pas mutuellement, sont en réalité complémentaires.

Kienné de Mongeot, les frères Durville et Lecocq entretenaient d’ailleurs de bonnes relations et se félicitaient mutuellement de leurs avancées respectives. 

 

Un naturisme social

Après la guerre, une évidence s’imposait à tous :

il fallait protéger les naturistes de l’ancien article 330 de la loi pénale, alors en vigueur, sur l’outrage à la pudeur.

Pour cela, il convenait de se structurer autour d’une fédération, souhait déjà émis par Kienné De Mongeot avant la guerre.

Le naturisme « sauvage » qui était alors pratiqué majoritairement par petits groupes isolés (notamment sur la côte atlantique, au cap Sicié à Toulon, à Berck, à Biot, ou dans les bois autour de Strasbourg), situation due principalement au manque de structures, représentait, a priori, un risque pénal. Dans les faits, il en était tout autrement puisque les « scandales » les plus retentissants se déroulèrent dans des lieux fermés et autorisés (procès de la section de « Vivre » de Toulon en 1931, les articles de presse sur le premier mariage naturiste au Levant le 27.10.32 et le débarquement de la police au centre des Libres Culturistes de Provence à Marseille en 1951).

Albert Lecocq avait une vision de la société proche des idéaux du Front Populaire.

Le naturisme devait être, pour lui, accessible à tous, non élitiste, promouvant des valeurs saines, éducatives et respectueuses de la nature et des hommes.

C’est dans cette optique que se créent les Clubs du Soleil en 1944, juste avant l’armistice.

Albert Lecocq dit alors cette phrase qui restera célèbre : « un club pour chaque ville, un terrain pour chaque club ».

Ces clubs œuvraient pour un naturisme à la portée de tous, sans grande théorie, ils se démarquaient du Sparta Club dirigé par Kienné de Mongeot, empreint d’un certain standing social.

Visant à niveler le statut social des adhérents, les Clubs du Soleil imposeront une tenue obligatoire à mettre par temps frais : ce sera le jogging pour tous. Le Club du Soleil de Carrière-sur-Seine sera même agréé par le ministère de l’Education Nationale en 1951 sous le numéro 7021. En 1973, on comptera quatre-vingt-dix filiales du Club du Soleil en France.

Ce naturisme fut en réalité beaucoup plus révolutionnaire qu’il n’y parait :

il visait à toucher tout un chacun. Il n’était plus réservé à une classe sociale aisée et intellectuellement supérieure à la norme. On pourrait le définir comme étant un « naturisme social ». 

Afin de consolider et de mieux unifier l’ensemble des clubs naturistes, en 1949, le couple Lecocq mettra en place les bases de la création de la FFN. Nous passons ainsi à un naturisme structuré et encadré. L’espoir est alors immense d’obtenir ainsi plus de considération de la part des autorités. C’est un peu le temps des bâtisseurs, de nombreux centres seront créés et les premiers articles positifs paraitront dans la presse.

L’obligation de se remettre en question au risque de devenir marginal

Les associations peinent à trouver des terrains. Pis, de nombreuses régions n’offrent aucun lieu naturiste. Malgré les quatre-vingt-six clubs naturistes référencés en 1953, l’évolution n’est pas aussi rapide qu’espérée alors que pourtant la société et les mentalités évoluent beaucoup plus vite qu’avant la guerre.

Les opinions émises par nos pionniers ne touchent plus vraiment la population.

Peu d’hommes politiques osent s’afficher avec eux lors des colloques. Dans l’opinion publique, le mouvement est souvent réduit à la simple nudité sans les aspects hygiéniques. Bref, cette reconnaissance, tant promise, semble leur échapper.

En 1965, le nombre de licenciés FFN atteint difficilement la barre des 20 000.

Certains prennent nos pionniers pour des dépravés et d’autres qui estiment qu’ils ont un discours réactionnaire et passéiste.

Ils se trouvent dans une position peu confortable, entre deux choix. Il leur est alors difficile de coller à cette évolution des mœurs sans renier leurs valeurs.

Une solution va leur apparaître naturellement : promouvoir la création de vastes domaines naturels isolés propices au naturisme. L’idée est de rassembler plusieurs centaines, voire milliers, de personnes dans un même lieu. Par le succès engendré, le naturisme apparaîtrait ainsi moins ennuyeux.

Le premier centre sera celui de Montalivet en 1950, puis naîtront ceux de Villata en Corse en 1957, du CHM Oltra en 1958, d’Héliomonde en 1961, tandis qu’une page se tourne avec la fermeture du Sparta Club du château d’Aigremont en 1962.

En 1973, le centre Hélio-Marin de Montalivet deviendra le plus vaste centre naturiste d’Europe, accueillant alors plus de 20 000 personnes par an, dont la moitié vient de l’étranger.

Nous entrons alors dans un naturisme clairement commercial.

Un tournant de notre mode de vie qui sera décrié par de nombreux pionniers des années 30 mais néanmoins apprécié par d’autres comme Fougerat de Lastours qui possédait son bungalow à Montalivet.

Une autre tendance apparaît également : celle de l’hédonisme. Ce plaisir assumé d’être nu était déjà revendiqué dès les années 30 par quelques sections de « Vivre ».

Ayant acquis une indépendance financière et acceptant mal la rigueur des préceptes de « Vivre », beaucoup de ces sections ont préféré s’affranchir dès 1933 de l’organisation de la Ligue de Kienné de Mongeot.

C’est donc sans surprise que dans un cadre anonyme de 60 ha (la dimension d’origine du terrain de Montalivet), le plaisir sain de vivre nu peut s’épanouir en toute quiétude sans avoir le sentiment d’avoir un « guide » pour gérer la gymnité du quotidien.

Le nudisme, décrit comme une approche simple de la nudité sans l’ensemble des valeurs liées à la gymnité, était souvent associé à cet hédonisme.

Dorénavant, il s’intègre pleinement à la vie naturiste. Ce plaisir assumé est d’ailleurs une des plus grandes évolutions de notre mode de vie avec l’aspect commercial.

Avec la mise en place des centres naturistes commerciaux, le naturisme est en avance sur son temps car Montalivet et Héliomonde ne sont rien d’autres qu’un avant-goût de ce que deviendront plus tard les centres de vacances classiques qu’aujourd’hui tout le monde connaît.

Ces centres connaîtront un succès au-delà de toute espérance.

Le naturisme, à visée sociale, deviendra naturellement populaire car il prendra en compte une nouvelle donne essentielle : le tourisme. 

Espoirs perdus

« On semblerait croire que les millions dépensés n’ont pas servi à gagner la masse à la pratique sportive, mais à pousser une élite de spécialistes » Albert Lecocq « Le sport de compétition », mars 1951. 

En se basant sur les travaux de Hébert et de Georges Rouhet, les fondateurs du naturisme que sont alors les Durville, Kienné de Mongeot et Demarquette sont à la base de l’émergence du sport en France avec le bataillon de Joinville. Mais après la seconde guerre, ils prennent leurs distances avec le sport de compétition. Pour eux, le sport professionnel glorifie l’être, néglige l’esprit sportif intègre, pousse au surmenage, à la spécialisation et au dopage. Progressivement, c’est donc cette discipline rigoureuse qui consiste à prendre soin de son corps, par des efforts physiques quotidiens pratiqués dans les clubs, qui disparait. Si des courts de tennis, des terrains de volley et des piscines sont toujours présents dans nos centres, leur utilité n’aura plus le même but, il s’agit ici de se distraire en prenant du plaisir. 

Temporairement, le challenge Cortey, lors de tournois internationaux de tir à l’arc ou de volley, puis les premières rencontres de natation naturiste (dont la seconde se déroulera à Lyon en 1970) et les sorties nautiques de Nautena continueront à maintenir cet esprit sportif gymnique mais l’élévation de l’individu par une démarche philosophique et esthétique n’entre plus réellement en ligne de compte. Les naturistes fument, boivent de l’alcool, font la fête, attitudes impensables avant la guerre. D’après nos pionniers, nous devions montrer la voie à suivre à la société, celle de la sagesse, de la santé et de la vigueur. En réalité, nous nous éloignons des conceptions thérapeutiques des débuts. Le naturisme est le reflet de la société, ses pratiquants n’ont plus la volonté de changer celle-ci mais de s’adapter. L’oisiveté, tant décriée par nos précurseurs, règne sur les plages naturistes où avant on s’adonnait à des cours de gymnastique matinaux. 

L’utopie de voir l’humanité adopter un jour les valeurs naturistes s’éloigne peu à peu. En 1962, l’Algérie devient indépendante et le naturisme se restreint dorénavant aux pays occidentaux en dehors de quelques espoirs fugitifs (Tunisie au Cap Négro en 1971, Abidjan en Côte d’Ivoire de 1955 à la fin des années 60). En Inde, à Hong Kong et au Japon, l’éclosion de groupes naturistes isolés n’a pas eu de suite. En Corse, le projet Intersun dans le désert des Agriates a dû être rapidement abandonné à cause de l’hostilité des résidents locaux. On lance des seaux de peinture bleue ou verte sur les naturistes de l’île de Beauté ; le Ranch naturiste de la Bravona est saccagé. A grand regret, il semblerait que cet humanisme fraternel et naturiste tant espéré fasse partie du passé. Malgré tout, cela n’empêche pas des regroupements de se constituer comme l’Union Humanitaire Universelle au sein de laquelle le naturisme est défendu comme valeur unissant les peuples vers un même idéal de vie. On se recentre donc vers le naturisme hexagonal, ou européen. Les responsables se concentrent sur ce qui est réalisable à court ou moyen terme plutôt que d’envisager des projets utopistes. La FNI se met notamment en place pour que les fédérations nationales puissent s’entraider. Un naturisme que l’on pourrait qualifier de « réaliste et concret » voie le jour. 

Donnez-moi « ma consommation naturiste annuelle » 

Depuis l’émergence des grands centres des années 60, le naturisme est progressivement devenu une pratique épisodique liée aux vacances d’été et devient un bien de consommation. Il a fini par s’inscrire dans notre société comme un loisir. Ce n’est plus un choix de vie mais une façon de passer des vacances originales. Les campings naturistes ne sont plus gérés par des organisations bénévoles mais par des propriétaires, parfois non naturistes, ou par des promoteurs privés. Le naturisme devient un produit prometteur. C’est un nouveau filon touristique à exploiter. Il convient donc de ratisser large. Une nouvelle clientèle apparaît, celle des nudistes occasionnels. Avec le « clothing optional », c’est la nudité « si je veux ». Les centres sont dorénavant obligés d’afficher « nudité obligatoire » à la piscine. Consciente de ce glissement des valeurs historiques, la FFN publie de nombreux articles en rappelant les principes fondateurs de la vie naturiste. Dès 1972, le terme nudisme définit une pratique épisodique « se limitant à un déshabillage ponctuel, le plus souvent à la plage ou dans un cercle restreint » (Jean-Luc Bouland « Tout en nu de A à Z », 1997, p.152). En 1974, lors du Congrès international du naturisme, la définition votée a pour but de clarifier les principes du naturisme et d’affirmer la pratique de la nudité en commun comme valeur fondamentale : « Une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par une pratique de la nudité en commun qui a pour but de favoriser le respect de soi-même et des autres et celui de l’environnement ». 

En vingt ans d’existence, le bilan de la FFN des années 70 est plus que correct = soixante-dix-huit départements comptent au moins un club gymnique, ce qui représente cent deux centres naturistes homologués sur l’ensemble du territoire. Malgré une diversité d’idées moins évidente qu’avant la seconde guerre, Jean Gantois (responsable FFN à l’information) dira en 1973 : « Aujourd’hui le naturisme couvre un ensemble d’idées, de disciplines physiques et morales, dont le but est de ramener le civilisé à une juste conception de la nature (…) Le naturisme est aussi le premier point d’une méthode qui consiste d’abord à replacer l’être humain, sans barrière néfaste, ou inutile, parmi les éléments naturels, à exercer et entraîner ses réactions innées d’auto-défense ». Et de barrière, certains ne veulent pas en avoir, et on parlera très peu d’eux jusqu’aux années 2000 : ce sont les adeptes du naturisme dit « en liberté ». Pourtant, ils existent depuis le début du mouvement et nous aborderons leur approche dans le prochain volet.

Cet article a 3 commentaires

  1. Maud Lafin

    Cette distinction entre nobles naturistes, qui ont le souci de la nature, qui font de la philosophie (rien que ça!), et les vils nudistes, simples consommateurs, je la trouve tout simplement bête.

    Selon les occasions, selon où l’on habite, selon sa famille et ses amis, on sera l’un ou l’autre (ou non-exclusif).
    Ceux qui ont la chance d’habiter pas loin de plages naturistes, ceux qui ont un grand jardin à l’abri des regards (ou qui ont des voisins que ça ne gêne pas) et qui se mettent nus sans pour autant être membre d’un club naturiste, ils ont tout autant (ou aussi peu) le respect de la nature que ces « vrais » naturistes que décrit G André.
    Ceux qui vont passer leurs vacances dans un centre naturiste, en quoi seraient-ils de simples consommateurs n’ayant aucun souci de la nature?
    A l’inverse, il peut y avoir des textiles tout à fait soucieux du respect de la nature.

    Je n’aime pas cette propension qu’ont certains à s’ériger comme les seuls « vrais naturistes », ça me fait penser aux anathèmes contre les hérétiques; il y en a qui ont la Vérité avec un grand V, et les autres, ce sont des gens à la fois dans l’erreur et dans le péché.

    Non, ce n’est pas si simpliste!

    1. Bruno Saurez

      A vous deux, enfin plus pour Maud que pour Gérard qui ne cherche que la polémique : il faut remettre cette analyse du passé de notre mouvement dans son contexte historique.
      Ça ne sert à pas grand chose de dire « avant c’était comme ça, il faut aujourd’hui faire comme cela » car les données ont changé, la société a évolué et les naturistes aussi.
      Les naturistes font parties de la société avec ses bons et ses mauvais côtés, on est pas un « genre supérieur » qui pourrait donner des leçons au reste de l’humanité. Certains de nos pionniers l’auraient voulu mais ce n’est pas le cas.

      Maud a raison, il n’y a pas de bons ou de mauvais naturistes. Au mieux, on peut dire qu’il y a des gens intelligents et d’autres qui le sont moins, naturistes ou non.

      Amicalement,

    2. Christian GUILLAUME

      La nécessaire distinction entre naturisme et nudisme prend tout son sens dans des cas concrets :

      *la faune nue de la partie Est de la plage de Cap d’Agde ;

      *la baigneuse nue légitimement virée d’un village de vacances naturistes après s’être opposée en criant à la présence d’une adolescent handicapé (bien accompagné) dans le bassin de piscine où elle se trouvait ;

      *sur la plage de La Jenny, des « textiles » venus à pied en longeant le bord depuis Le Porge Océan, qui tombent le maillot et couvrent autour d’eux le sable de mégots et détritus de pique-nique ;

      *des « naturistes » (peu nombreux, heureusement) qui refusent de lever seulement un doigt pour aider à défendre un espace naturel menacé par de la spéculation immobilière, refus motivé non par le manque de disponibilité mais par l’hédonisme individuel (« je suis bien à poil au soleil et ça me suffit, je n’ai pas besoin qu’on m’emmerde avec des histoires qui ne me concernent pas »).

      Liste non exhaustive.

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